Académicien, auteur de la Colline inspirée, Maurice Barrès, né en 1862 à Charmes dans les Vosges est un immense écrivain français. Il fut aussi homme politique, député de Nancy. Ses prises de position controversées dans l'affaire Dreyfus et son nationalisme exacerbé le rendent quelque peu sulfureux. L'écrivain fut cependant l'inspirateur de plusieurs générations d'écrivains tels que Montherlant, Mauriac, Malraux, Aragon...
Au début du XXème siècle pendant la période de l'annexion, Maurice Barrès a passé quelque temps dans le Saulnois, au château d'Alteville, près de Tarquimpol écrivant le livre "Au service de l'Allemagne". Dans le premier chapitre, il dresse un magnifique portrait du Saulnois. Il évoque aussi un peu plus loin Marsal interrogeant même un jeune Marsalais cherchant dans ses réponses un signe de francophilie conservée.
Voici deux extraits du premier chapitre (pages 1 à 10) où sont évoqués l'étang de Lindre et Marsal.
Un pays "Welche" submergé
J'ai passé le mois de septembre 1902 chez un ami d'enfance, le comte d'Aoury, dans la Lorraine annexée. C'est sur le triste étang de Lindre, auprès du promontoire boueux où les masures de Tarquimpol survivent à la ville romaine de Decem Pagi.
Bien que j'aie entrevu un grand nombre de pays fameux, nul ne m'attire davantage que cette région des étangs lorrains. Son délaissement et sa délicatesse épurée exercent sur mon esprit une véritable fascination......
...Dans cette région les étangs sont nombreux ; on les vide, les pêche et les met en culture toutes les trois années. Il y en a cinq grands et beaucoup de petits. Leur atmosphère humide ajoute encore une sensation à cette harmonie générale de silence et d'humilité. Leur cuvette n'est pas profonde ; ça et là, jusque dans le centre de leur miroir, des roseaux et des joncs émergent, qui forment de bas rideaux ou des îlots de verdure. Sur leurs rives peu nettes et mâchées, l'eau affleure de bois de hêtres et de chênes. Et nulle chesnaie, nulle hêtraie je dirai mieux, - tant est frappante la grâce de ces solitudes, - nulle société féminine ne passe en douceur et en perfection de goût, ces lisières où il y a toutes les variétés de l'or automnal avec des courbes de branches infiniment émouvantes.
Quand le soleil s'abaisse sur ces déserts d'eaux et de bois, d'où monte une légère odeur de décomposition , je pense avec piété qu'aucun pays ne peut offrir de telles réserves de richesses sentimentales non exprimées.
Il y a dans ce paysage une sorte de beauté morale, une vertu sans expansion. C'est triste et fort comme le héros malheureux qu'a célébré Vauvenargues. Et les grandes fumées industrielles de Dieuze, qui glissent, au-dessus des arbres d'automne, sur un ciel bas d'un bleu pâle, ne gâtent rien, car on dirait d'une traînée de désespoir sur une conception romanesque de la vie.....
......A deux lieues de Dieuze du côté de la France, nous visitons souvent l'antique petite Marsal, qui fut bombardée en 1870 .
Rien de plus douloureux au milieu de l'immense plaine que ses murailles à la Vauban déclassées, mais intactes, et auxquelles le temps n'a point donné le pittoresque, l'apaisement par le pittoresque qu'il y a par exemple dans une ruine féodale. On n'a pas pris souci de rien démolir ni combler ; le gouvernement a vendu l'ensemble des fortifications, moyennant trente mille marks, à la ville, qui les loue comme elle peut pour des jardins et des pâtures. Des poules y courent, un corbeau croasse à deux pas.
De onze cents habitants qu'elle comptait avant la guerre (et dans ce chiffre n'entrait pas la garnison), Marsal est tombée à six cents. L'hôtelier avec qui je cause et qui s'est installé dans la "maison du commandant de place" , vient d'acheter pour trois mille marks le "fort d'Orléans", un énorme corps de bâtiment avec seize hectares dont deux étangs.
On ne bâtit plus à Marsal, et qu'une maison brûle, on ne la relève pas. De-ci de-là, le long des rues, je vois des ruines recouvertes d'orties. Mais ce qui serre le plus le coeur, c'est peut-être de reconnaître toutes les formes de l'ancienne vie modeste, aimable, à la française. N'est-ce pas la place d'Armes, avec les débris du carré de tilleuls où, le dimanche, la musique militaire rassemblait la population ? J'arrête un petit garçon. Une jolie et intelligente figure du pays messin ; beaucoup de douceur, très peu de menton et la voix grave.
- Savez-vous l'allemand ? lui dis-je.
- Pas beaucoup.
- Ne le parlez-vous pas ?
- Des fois.
Comme je l'aime, ce "des fois" si lorrain !
Comme il m'attendrit , ce sage enfant perdu sous le flot allemand, petite main qui dépasse encore quand notre patrie commune s'engloutit !
Tout me crie que la raison deutsche, en travaillant à détruire ici l'oeuvre welche, diminue la civilisation. Et, par exemple, les édifices militaires français du dix-huitième siècle, tels qu'on les voit à Marsal, avec leurs façades blanches et graves, avec leurs proportions élégantes et naturelles, qu'on les compare aux abominables et coûteuses casernes qui, non loin de là, dominent Dieuze : il apparaît jusqu'à l'évidence que chez l'Allemand la culture des sens demeure encore barbare.
A Marsal, rien ne parle que de la France.....
Commentaires
Merci Bruno
Ce texte est magnifique et donne envie d'en connaitre davantage sur cet écrivain....
Maurice Barrès venait au château d'Alteville car il était ami, avec Stanislas de Guaïta, Il adhèrera également au courant de pensée ésotérique " le martinisme".
Quel personnage mystérieux, obscur et fascinant....tout comme ce pays des étangs lorrains, qu'il affectionnait .
Merci Bruno !
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