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Neuf kilomètres de marche étaient au programme de la randonnée proposée ce dimanche 7 juillet par Chemins Faisant dans la forêt de Mulcey et ses alentours. Une trentaine de personnes a participé à cette balade champêtre qui aura duré un peu plus de deux heures.

Une rando enrichie par une petite halte historique au pied d'une croix dressée au bord du chemin pour évoquer l'incroyable histoire de ce curé du Saulnois qui fut traqué, emprisonné, déporté, frappé par....les représentants de la jeune nation française aux temps de la Révolution. 

Curé réfractaire, parce que refusant de prêter serment à la constitution civile du clergé, Pierre Benoît Chauffeurt, né à Gelucourt en 1762 va parcourir le Saulnois pendant près de dix ans dans la clandestinité  pour officier malgré les menaces qui pesaient sur lui. Battu par les gendarmes à Mulcey, il reviendra boiteux à la mairie. La croix fut érigée pour honorer sa mémoire.

L'histoire du boiteux prêtre, retracée grâce aux documents exhumés par M.Coffe ancien instituteur et maire de Mulcey et transmis par M.Lormant, professeur et ancien maire de Mulcey : 

 Pierre Benoit Chauffeurt naquit à Gelucourt le 11 juillet 1762 de François Chauffeurt et Marguerite Cuny. Après son ordination sacerdotale le 19 septembre 1789, il administra pendant quelques semaines la paroisse d'Haraucourt sur Seille. Celle-ci ayant un nouveau pasteur, Nicolas Jacob, le jeune prêtre rentra dans sa famille en attendant sa nomination, le 19 mars 1790, de vicaire de Saint-Julien les Gorze.

Quelques mois plus tard devait être votée la fameuse Constitution civle du clergé. La foi du jeune curé ne tardera donc pas à être mise à l'épreuve. Comme tous les prêtres du royaume il sera invité à jurer fidélité à cette Constitution. 

Le 27 juin 1791, en effet, le maire de Saint-Julien les Gorze lui notifie l'ordre de se présenter à la mairie et d'obéir à l'injonction de la Nation. L'Abbé Chauffeurt ne jure pas. 

Après ce refus il ne lui restait plus qu'à s'expatrier car l'arrestation, la prison, l'exil ou la mort même attend tout refractaire. L'arrivée d'un prêtre intrus (celui qui a prêté serment) l'oblige à quitter Saint-Julien. Mais il ne quittera pas le diocèse. On se saisit de lui alors, on l'interne à la maison de réclusion de la Doctrine Chrétienne à Metz et le 11 mai 1794, il est condamné à la déportation par le trop célèbre Mallarmé, représentant du peuple. Et le 12 mai, il est transféré à Rochefort avec 33 autres écclésiastiques de la Moselle.

L'Abbé Chauffeurt doué d'une constitution robuste résiste aux souffrances de la déportation et le 7 février 1795, il reprend le chemin de son pays natal, en compagnie de 18 autres déportés de son département.  

Revenu à la maison patrenelle après sa longue détention, il se fait missionnaire apostolique et en déploie le zèle. Toutes les tracasseries, tous les dangers le menacent. Peu lui importe, il n'en a nul souci. Vergaville, Bourdonnay, Lindre, Guéblange, Mulcey, Château-Voué, Sotzeling, Bréhain le verront exercer son sacerdoce, malgré toutes les poursuites dont il est l'objet.

Il sera saisi une première fois à Vergaville, une seconde fois à Bourdonnay où une émeute éclate en sa faveur contre les agents de la police, une troisième fois à Mulcey et à chaque arrestation il sera traduit devant le tribunal. 

On s'attardera ici sur l'évènement de Mulcey, sujet de notre propos. Le 20 septembre 1795, il venait de baptiser un enfant et prenait une légère collation avant son départ lorsque l'agent de Mulcey vint le saisir et le conduire à la mairie. L'Abbé Chauffeurt demande s'il y a des lieux de commodité où il se rend sans exciter la défiance de ses limiers. Il en sort, se sauve à travers champs et va atteindre la forêt lorsque l'agent parvient à le saisir. Il est roué de coups et ramené, boiteux, à la mairie.

Il sera assigner en résidence à Gélucourt avec interdiction d'exercer son ministère. Mais à peine remis en liberté il reprend son bâton de missionnaire. On veut lui faire prêter serment de fidélité aux lois de la République, il s'en exempte par mille subterfuges.

Le 28 novembre 1797, le Directoire exécutif porte contre l'Abbé Chauffeurt un décret de déportation et ordonne de se saisir de lui.

Mais cette fois il sera plus facile de le condamner que de s'en emparer. Il rayonne clandestinement dans les cantons de Dieuze, Château-Salins, Delme, Vic partout où il sait qu'un fidèle l'attend. La police en est au courant, elle réquisitionne ses agents, ses gendarmes, ses limiers : peines perdues. aujourd'hui on envahit à l'improviste la maison qui recèle le perturbateur de la société, on en garde toutes les issues, on pénètre dans la chambre à coucher, le lit en est chaud mais l'oiseau n'y est plus !

Un autre jour, les commissaires arrivent sans bruit, ils l'aperçoivent de la rue, il est à table. Cette fois il ne peut s'échapper. On se précipite dans la salle où il vient d'être vu. Il n'y a plus personne. Un pétrin qui avait servi à faire le pain quelques instants auparavant, lui fournit un refuge. Il en retourne l'embouchure du côté de la muraille, s'y blottit. l'agent de police cherche ne voit rien. Peut-être que cet agent accomplit une mission qui lui est pénible et qu'il est heureux de ne rien découvrir, lorsqu'il a très bien vu. Quoiqu'il en soit, l'Abbé reste introuvable !

Le 31 décembre 1798, on organise une battue en règle. Tout un règlement est mis sur pied. On prend des chemins détournés pour ne pas éveiller l'attention, on visite toutes les maisons suspectes : rien encore. Aus environs de Gelucourt, il y a plusieurs écarts : Kraftel, Videlange, Ormange, la Tuilerie, le Moulin, il est assurément dans l'un ou l'autre. Où donc est-il ? Profitant des bois il est ou à Oron ou à Lucy, ou à Lidrezing, ou à Château-Voué. 

Et lorsque ceux qui le cherchent rentreront tout désappointés dans leurs logis, l'Abbé Chauffeurt rentrera à Gelucourt heureux d'avoir travaillé pour Dieu et prêt à recommencer le lendemain.

Ce n'est qu'après la publication du Concordat que l'Abbé Chauffeurt sortit de la clandestinité. Le 6 juin 1802, il se présenta devant le Préfet de la Meurthe et fit la promesse exigée par la loi. 

Le 21 mars 1803, Mgr Osmond évêque de Nancy le nomma desservant d'Assenoncourt puis le transféra le 1er décembre 1807 à Guermange. C'est là qu'il mourut subitement le  29 juin 1815 au cours de l'invasion russe en ouvrant la porte à quelques francs tireurs qui parcouraient la région.